Historique
de la bibliothèque
L’histoire de l’institution scolaire et celle de sa bibliothèque sont indissociables : il faut remonter à l’édit de fondation d’Henri IV, en 1603, du collège royal Henri-Le-Grand, pour connaître les directives éducatives assignées au collège dirigé par les jésuites.
Il doit devenir « comme un séminaire général et universel, auxquels ils [les jésuites] enseigneront toutes les sciences et facultés qu’ils ont accoutumé enseigner aux plus grands collèges et universités de leur compagnie, savoir est : la grammaire, les humanités, la rhétorique, la langue latine, grecque et hébraïque , la philosophie, la logique, la morale, la physique et métaphysique, les mathématiques, la théologie classique, les cas de conscience et la Sainte Ecriture ». Pour cela, Henri IV attribue en frais de première installation cent mille écus dont mille destinés à l’achat de livres. Et il devient, avec ses successeurs, donateur perpétuel (perpetuus agonotheta) pour les remises de prix et l’achat de livres (300 écus annuels). Nous voyons donc là un fonds à caractère encyclopédique commun aux bibliothèques de jésuites, où la physique enseignée avec la métaphysique en classe de philosophie relève plus du dogme avec la Démonstration de l’immobilité de la terre du père Grandami par exemple, que de l’esprit d’examen que développera Descartes , alors jeune condisciple de Marin Mersenne et lecteur assidu de la bibliothèque, si l’on en croit son témoignage dans le Discours de la méthode. Les relations de voyages des missionnaires jésuites ouvrent les élèves sur le monde.
Pourquoi avoir choisi La Flèche, alors simple village ? Il s’agissait pour Henri IV de donner un gage de sincérité de conversion aux jésuites : en installant le collège dans l’ancien Château-neuf hérité de Françoise d’Alençon, en léguant son cœur, il offre un bien personnel qui peut contrebalancer l’influence protestante dont la ville voisine de Saumur était un centre des plus actifs.
Il était situé en milieu amical car le seigneur de La Flèche, Fouquet de la Varenne, était un de ses intimes. Et il ne s’agissait pas de former des religieux (le séminaire de Précigné-sur-Sarthe y suffit) mais dans cette nouvelle « pépinière » de donner une solide instruction aux fils de gentilshommes pauvres pour lesquels il réserva bon nombre de places. Il leur assurait une éducation gratuite en payant leurs pensions, et les préparait à embrasser, pour la plupart, la profession militaire, par des exercices appropriés lors des récréations. C’est la raison pour laquelle on trouve également dans le fonds d’origine des ouvrages sur les fortifications, les sièges, et autres militaria.
Malheureusement, le catalogue des jésuites a été perdu et nous ne possédons comme premier élément que le catalogue dressé par les pères de la Doctrine Chrétienne qui leur ont succédé en 1776, après une période (1762-1776) où le collège est devenu une succursale de l’école militaire de Paris, le collège militaire des Gentils hommes élèves du roi, dirigé par des prêtres séculiers. Il ne reste alors que 3 054 volumes encore reconnaissables par leur ex-libris manuscrit sur la page de titre : ex cat. Flexiensis (ou fixensis). Soc. Jes. suivi d’un numéro. D’après ces ex-libris, il semblerait que l’ancienne bibliothèque se soit accrue d’environ 200 volumes par an. On y trouve aussi la production des pères Brumoy, Caussin, Niquet, Cellot, Ducerceau, Mambrun, Musson, Petau, Rapin, Sanadon, Vavasseur, Corbin qui ont professé au collège et dont nombre d’œuvres ont été imprimées à La Flèche même, car l’installation du collège y avait attiré quatre imprimeurs bientôt réduits à deux : Jacques Rezé et Georges Griveau. Quant aux thèses soutenues par les jeunes professeurs, certaines étaient déposées à la bibliothèque où elles sont encore visibles.
Le collège est repris par la municipalité de 1797 à 1808 : elle y installe une École Centrale supplémentaire puis une école secondaire communale. Elle y dépose aussi les saisies des établissements religieux de la commune (couvent de la Madeleine, Carmes, Récollets, Capucins de La Flèche) ou des environs (abbaye du Mélinais, de Bellebranche, prieuré de Château-l’Ermitage…). Nous n’avons pas l’inventaire de ces saisies, seuls les ex-libris manuscrits en témoignent : la bibliothèque est alors placée sous le contrôle d’anciens Pères Doctrinaires. L’administration départementale, eu égard au nombre restreint d’élèves, demande le transfert au Mans de la bibliothèque et des instruments de physique pour l’École Centrale. La ville utilise alors la législation relative aux établissements d’instruction du 24 octobre 1795 pour conserver ses droits et réclame directement auprès du ministre de l’Intérieur, lequel adopte un compromis : la bibliothèque restera à La Flèche mais les instruments iront à l’École Centrale du Mans.
Pendant ce temps, à Paris, pour former les futures élites militaires, a été créé en 1798 le Prytanée français à Louis-le-Grand, bientôt suivi de plusieurs établissements frères à Fontainebleau, Saint-Cyr (Versailles), et Compiègne. Mais ceux-ci sont bientôt transformés en simples lycées, et seul Saint-Cyr reste en activité sous ce nom ; le Prytanée récupère alors les maigres dotations en livres des autres établissements.
Le nouveau directeur des études, Pierre Crouzet, réclame et obtient une autorisation de puiser dans le dépôt de Saint-Antoine où se trouvait depuis plus de huit ans la Bibliothèque de l’Université. Mais ce fonds quasiment épuisé ne lui donne pas satisfaction et il demande les doubles qui peuvent exister à Louis-le-Grand. En 1802, il s’adresse au préfet de Seine-et-Oise qui lui délivre un stock de livres de saisies provenant des châteaux de Versailles, Trianon, Montreuil. Ces ouvrages sont reconnaissables à leurs élégantes reliures armoriées, quoique certaines aient été grattées, et par la présence d’un signet de saisie signalant le nom du propriétaire précédent : le comte de Plessis-Praslin, Valory, Charles du Fresne, le marquis de Montfermeil, L.S.X. Capet (Comte de Provence), l’abbé Raynal, Mme de Gourguillon. Lorsque ces signets ont disparu, ce sont les armes qui nous renseignent : Mmes du Barry, de Pompadour, Marie-Antoinette, Adélaïde et Victoire…
En 1808, lors du transfert du Prytanée de Saint-Cyr à La Flèche, 2 000 ouvrages de ces fonds accompagnent les impedimenta : ils seront fondus en 1810 dans le fonds de la bibliothèque générale. Là encore, nous ne disposons pas d’inventaire, ou de listes car au XXe siècle, de nombreuses archives du Prytanée ont été sacrifiées sur l’autel de l’utilité et seules des traces de correspondance recueillies par un officier du XIXe siècle, Raoul Digard, nous permettent de reconstituer la mémoire de la bibliothèque. Les ouvrages de Saint-Cyr sont identifiés à partir du cachet ovale du premier Prytanée portant les lettres R et F à droite et à gauche d’un faisceau de licteur. De Saint-Cyr aussi nous sont parvenus quelques livres provenant de congrégations religieuses de la région parisienne : Pères de la mission et Récollets de Versailles, Récollets de Saint-Denis et de Saint-Germain-en-Laye, couvent de Saint-Augustin de Pontoise et Capucins de Meudon.
En 1812, lors de l’installation dans la grande galerie - autrefois galerie de tableaux - de la bibliothèque logée auparavant dans une salle dite des Actes (plus proche des salles de cours), on recense douze mille ouvrages. La raison de ce transfert est peut-être liée à l’accroissement des collections mais plus sûrement à la nouvelle accessibilité des citoyens fléchois, deux fois par semaine, accordée par l’administration en compensation de la dépossession des livres.
Nous avons vu que sous l’Ancien régime, bien qu’une dotation annuelle pour acheter des livres ait été prévue, le roi exerçait un mécénat supplémentaire en offrant des livres richement reliés à ses armes pour la distribution des prix. Cette forme de mécénat se poursuivit sous les différents régimes qui de succédèrent , car si les crédits votés pour la bibliothèque en conseil d’administration suffisent à l’acquisition de manuels , ils se révèlent en revanche insuffisants pour l’achat d’ouvrages plus onéreux tels que les atlas, les collections à caractère encyclopédique et les ouvrages scientifiques également nécessaires à la préparation des cours, d’autant plus que le brillant aréopage de professeurs poursuit , parallèlement aux tâches d’enseignement, des travaux de recherches.
Ainsi les travaux de Jean-Marie Taupenot sont l’occasion d’octrois exceptionnels d’objets scientifiques, de collections d’histoire naturelle et d’ouvrages en physique et chimie ; le ministère de la Guerre envoie régulièrement des cartes, des atlas, des comptes rendus de missions scientifiques qui permettent aux élèves de suivre les pérégrinations de leur empereur et de se préparer aux futures expéditions. Déjà Napoléon Ier, en visite au Prytanée de Saint-Cyr constate l’indigence des fonds et adresse des recommandations au « citoyen Chaptal », ministre de l’intérieur en 1801 : « Il n’y a pas de bibliothèque dans ce Prytanée ; il en faudrait une de deux mille volumes en histoire, géographie et voyages ». Et de fait, si les subsides sont difficiles à obtenir, les ministères de l’Intérieur, de l’Instruction et de la Guerre n’oublient pas le Prytanée : il s’enrichit d’expéditions scientifiques ou culturelles comme La Description de l’Égypte, l’Algérie pittoresque, l’Expédition de Castelnau, le Voyage pittoresque autour du monde de Choris, … puis au temps des colonies, de comptes rendus ou d’ouvrages relatifs aux pays sous protectorat français.
L’autre forme de mécénat est le don direct, le plus souvent de la part d’anciens élèves, de professeurs ou de directeurs d’études qui, du bout du monde parfois, comme l’ancien consul Louis Vossion, n’oublieront pas d’envoyer leurs publications.
Enfin, combinant les deux situations, d’anciens élèves ayant connu une ascension politique ou administrative importante feront bénéficier le Prytanée et sa bibliothèque d’une bienveillance particulière : le duc de Feltre, le général Bertrand par exemple, lors de l’installation puis tout au long du XIXe siècle.
Une dernière solution d’enrichissement sans dépense est pratiquée : le troc. Lors du recensement effectué par le chevalier de Sourdon en 1820, les doublons sont mis de côté pour procéder à des échanges avec des libraires. Près de 2 500 ouvrages partent ainsi.
Les principales difficultés qu’a rencontrées la bibliothèque au cours des siècles ont été de trois ordres : financier, administratif, politique. Nous ne reviendrons pas sur le budget déclinant mais compensé par des dons ou reversements au XIXe siècle ; c’est au cours du XXe siècle que s’asséchera l’approvisionnement des fonds pour des raisons administratives.
Depuis la création du Prytanée, l’établissement a toujours relevé du ministère de la Guerre puis de la Défense. Or le raisonnement économiste et utilitariste progressant, l’administration de l’armée s’est progressivement désengagée d’un établissement qui n’était pas de formation militaire mais préparait à des vocations militaires : il en sortait autant de civils que de militaires.
Or en avançant dans le temps, une grande partie des collections ne correspondait plus aux besoins ni des élèves, ni des enseignants. Par ailleurs, l’éloignement des lieux de cours, comme l’obsolescence des ouvrages dans le domaine scientifique suscitèrent la création de bibliothèques de quartiers, essentiellement constituées de manuels et d’usuels qui absorbèrent l’essentiel des crédits.
L’aboutissement logique fut la séparation en 1930 en deux fonds : un fonds ancien antérieur à 1930 qui devint mort et un fonds moderne qui géographiquement fut séparé. Le tarissement financier s’accompagna du non-remplacement d’un bibliothécaire attitré (des professeurs ou un secrétaire faisant office de), et d’une fermeture de plus en plus longue. Dans sa période noire, la bibliothèque n’ouvrit plus qu’une fois la semaine. En 1970, l’atelier de reliure qui jusqu’alors contribuait à la préservation des volumes ferma. Cette période de déréliction favorisa l’évaporation de livres qui avaient traversé des moments autrement plus troublés. Dernière avanie, durant la Seconde guerre mondiale, avant que les Allemands occupant le Prytanée n’apposassent des scellés sur la bibliothèque, le secrétaire-bibliothécaire accompagnant les élèves et professeurs dans leur exil à Briançon avait pris soin d’emporter quelques cartons du fonds précieux : tous, hélas, ne retrouvèrent pas place dans les rayonnages à la Libération. Néanmoins, l’association de plusieurs personnalités du monde militaire et enseignant œuvra à la réhabilitation du fonds patrimonial indissociable du prestige de l’établissement : on rouvrit largement la galerie de la bibliothèque aux élèves et aux professeurs en y rapatriant le fonds moderne et encore actuellement, le passage peut se faire aisément d’un fonds à l’autre selon les besoins… ou les curiosités. Cette reprise en main légitima ensuite le reversement des fonds de garnisons militaires de Rennes et Tours lorsqu’elles fermèrent dans les années quatre-vingt, puis Le Mans en 2010,comblant heureusement les trous occasionnés par des réformes non-concertées ou des actes indélicats. Ces fonds de garnison offrent souvent des compléments introuvables de l’édition coloniale qui représente aujourd’hui un segment important de nos collections.
La bibliothèque a terminé l’informatisation du catalogue et travaille maintenant à la valorisation de ses collections en recherchant des partenariats pour numériser ses ouvrages les plus rares tout en organisant des expositions pour faire vivre et connaître son patrimoine, notamment auprès des plus jeunes. Elle assume le rôle de transmission et d’éducation qui a toujours été celui de l’école.
Sylvie Tisserand, conservatrice de la bibliothèque
Bibliographie
- Histoire de la Compagnie de Jésus en France, des origines à la suppression (1528-1762).
- Epoque de progrès (1604-1623) / par le P. Henri Fouqueray,.... Firmin-Didot (Paris) : 1910-1925
- Inventaire des titres de La Flèche (ADS, D1 f1)
- Histoire de la Compagnie de Jésus en France, p.15